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Manou se livre
28 septembre 2012

Ce que le jour doit à la nuit

imagesCA01YX0NSi certaines lectures nous échappent quand d'autres nous frappent de plein fouet, on peut se demander quelle en est la cause; à mes yeux, c'est la part de résonance provoquée chez le lecteur qui fait toute la différence.

Ce que le jour doit à la nuit a remporté mon entière adhésion car son sujet, l'Algérie et ses troubles qui menèrent à la guerre portant son nom, et ses répercussions tant pour les Algériens que pour les émigrés européens ou les pieds-noirs, est profondément liée à mon histoire familiale. Comme beaucoup de français, mes ancêtres étaient pieds-noirs, mon grand-père et ma mère sont nés à Oran; alors vous pouvez imaginer l'émotion qui m'a saisie en approchant, par le biais de la fiction, tout un pan de mon histoire filiale.

Younes vit avec son père, sa mère et sa petite soeur au milieu des champs. Quand sa famille perd tout, suite à l'incendie de ses terres, ils partent vivre à Oran. Sauvé d'une existence misérable par son oncle pharmacien (marié à une française catholique), qui voit en lui le fils qu'il n'a jamais eu, Younes, devenu Jonas, change radicalement de vie. Le milieu social, l'éducation qu'il reçoit ainsi que les études qu'il fait lui permettent de progresser en marge des drames qui secouent son pays. Parce qu'il ne veut pas voir. Parce qu'il ne veut pas savoir. Il veut continuer de croire que l'Amitité ne tient pas compte des origines. Mais derrière Jonas, Younes existe toujours. L'amour et la guerre ne l'épargneront pas.

A force de voir ce livre entre beaucoup de mains j'ai fini par avoir envie de le mettre dans les miennes. Cela m'a permis de comprendre le succès bien mérité de cet auteur, qui nous plonge au coeur du coeur des hommes, dans une histoire mêlant des thèmes forts, sans jamais tomber dans la facilité. Khadra nous parle d'amour, d'amitié, de sentiment d'appartenance à sa patrie, sans verser dans le pathos. Ses mots, puissants tant par leur choix que par leur portée,  nous collent à la peau, comme autant de leçons de vie. "Cours la rejoindre... Un jour, sans doute, on pourrait rattraper une comète, mais qui vient à laisser filer la vraie chance de sa vie, toutes les gloires de la terre ne sauraient l'en consoler". Le réalisme des personnages nous percute; la dignité desespérée du père de Younes qui ne peut sauver sa famille de la misère, la sagesse de son oncle, la tendresse de ses deux mères, les copains qui grandissent et qui changent... autant de tableaux peints avec une infinie justesse.

Le fait que l'auteur aborde tous les points de vue constitue aussi, à mon sens, la principale force de ce roman. Que ce soit les arabes, les émigrés espagnols ou les français, chacun a son mot à dire sur la façon dont ils vivent leur relation à l'Algérie, et leur positionnement sur l'indépendance. J'ai été profondément émue et touchée qu'un auteur algérien ai fait dire à l'un des personnages français de son livre "Si seulement on avait quitté le bled de notre propre gré, se plaint Gustave, à deux doigts du coma éthilique. Mais on nous a forcés à tout abandonner et à partir en catastrophe, nos valises chargées de fantômes et de peines. On nous a dépossédés de tout, y compris de notre âme. On ne nous a rien laissé, rien de rien, pas même les yeux pour pleurer. C'était pas juste, Jonas. Tout le monde n'était pas colon, tout le monde n'avait pas une cravache contre ses bottes de seigneur; on n'avait même pas de bottes tout court, par endroits. Nous avions nos pauvres et nos quartiers pauvres, nos laissés-pour-compte et nos gens de bonne volonté, nos petits artisans plus petits que les vôtres, et nous faisions souvent les mêmes prières. Pourquoi nous a-t-on tous mis dans un même sac? Pourquoi nous a-t-on fait porter le chapeau d'une poignée de féodaux? Pourquoi nous a-t-on fait croire que nous étions étrangers sur la terre qui a vu naître nos pères, nos grands-pères, et nos arrière-arrière-grands-pères, que nous étions les usurpateurs d'un pays que nous avons construit de nos mains et irrigué de notre sueur et de notre sang?... Tant qu'on aura pas la réponse, la blessure ne cicatrisera pas." Mon grand-père aurait aimé lire cela. Lui qui disait encore "Ma Terre" en parlant de l'Algérie, quarante ans après l'avoir quitté et être revenu en France, avec sa femme et ses quatre enfants, pourtant tous nés là-bas. Merci à Khadra d'avoir donné une voix à tous les pieds-noirs qui ont tant chéri ce pays et n'ont plus jamais retrouvé leur place, parce qu'on leur avait arraché un bout d'eux-même. Merci à Khadra d'avoir parlé de la misère insupportable et de l'injustice que subissait les arabes face aux colons, de ceux qui ont fait le choix de l'indépendance pour obtenir une dignité que peu leur concédaient; et d'avoir montré que dans chaque cause noble il y a aussi des erreurs de faites; les assassinats de civils sont à condamner, quels que soit la cause qu'ils prétendent défendre.

Ce livre restera pour moi le meilleur livre lu ce mois-ci. Je le recommande à tous; il permet d'aborder simplement et avec brio une réalité historique et humaine très complexe. Vous n'en sortirez pas indemnes...

 

Ce que le jour doit à la nuit, de Yasmina Khadra. Editions Pocket. 441 pages. Meilleur livre 2008 par Lire. Prix France Télévisions.

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Manou se livre
  • Passionnée de littérature et d'écriture, de romans, de poésie et de théâtre, mais pas seulement. Mes thèmes fétiches : l'exil, l'immigration, les femmes, les relations entre les êtres... Mon amour des mots est le vôtre ? Alors bienvenue dans mon monde !
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